Le dispositif Dutreil a été appliqué dans le but de réduire la charge fiscale relative à la transmission d’entreprises familiales. Regardons de près cette transmission à titre gratuit d’une entreprise individuelle au sens strict du terme.
Le « pacte Dutreil » est une mesure législative établie par la loi n° 2003-721 du 1er août 2003 pour l’initiative économique. Appelée Loi Dutreil, elle tient son nom de son instigateur Renaud Dutreil quand il était secrétaire d’État aux PME. Elle vise à diminuer le fardeau fiscal lié à la transmission des entreprises au sein de la famille après un décès ou une donation. Elle encadre l’exploitation directe ou sous forme de société des entreprises.
Si l’entreprise concernée est exploitée de manière directe, la transmission se décline en une cession des éléments constitutifs de l’exploitation :
Si l’entreprise est exploitée sous forme de société, c’est la totalité ou une partie des titres sociaux qui sera transmise. Notre analyse se concentrera sur la transmission juridique autonome, surtout pour les commerçants, artisans, professionnels libéraux ou agriculteurs. Ce sont les professionnels répertoriés dans le registre national des entreprises et des établissements ou SIRENE.
Concrètement, l’entreprise englobe tous les actifs et passifs indispensables à l’exercice d’une activité commerciale, industrielle, artisanale, agricole ou libérale. Elle représente la forme la plus courante dans les petites structures et demeure la plus adaptée à l’entreprise de subsistance. Elle se trouve ainsi être l’opposée de l’entreprise à vocation de croissance.
En guise de comparaison, sur 995 900 entreprises tout type créées en 2021, 724 900 étaient des entreprises individuelles ou des microentreprises.
L’article 787 C du Code Général des Impôts ou CGI régit la transmission à titre gratuit de ces entreprises. Il prévoit l’exonération, sous quelques conditions, des droits de mutation à titre gratuit. Cette réduction est de 75 % de la valeur totale de la totalité ou d’une partie des :
On parle des biens transmis entre vifs ou par décès et qui sont dédiés à l’exploitation d’une EI exerçant une activité :
La fiscalité et la valeur de l’entreprise, soit la base imposable aux droits de mutation à titre gratuit, évoluent constamment. Cependant, l’absence d’anticipation de la part du dirigeant quant à la transmission de son entreprise peut rendre difficile la procédure. Ne pas anticiper cette transmission est susceptible de compromettre la continuité de l’activité. C’est pourquoi il est fortement recommandé de consulter un notaire pour établir une planification détaillée de sa transmission d’entreprise. Cela permet aussi de réduire les coûts associés à la démarche. Nous nous efforcerons de fournir un guide pratique dans cette analyse, et proposer ensuite un exemple concret.
Guide pratique sur la transmission d’une entreprise individuelle sans contrepartie financière
Les transmissions concernées
L’article 787 C du CGI prévoit un régime d’avantages spécifiques aux transmissions à titre gratuit par décès ou entre vifs :
Les actifs concernés
Pour être éligible au pacte Dutreil, la transmission doit concerner :
En effet, d’après l’administration, les entreprises à associé unique sont considérées comme des entreprises individuelles. Elles le sont quand les dispositions concernant l’engagement réputé acquis selon l’article 787 B du CGI ne leur sont pas appliquées.
Il faut noter que ladite entreprise doit exercer une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale. Ce critère est la raison d’être même de l’article 787 C du CGI. Les biens à céder doivent être indispensables et transférés à l’exercice de cette activité. Ce critère est distinct de la présence ou non du bien à l’actif du bilan de l’entreprise.
Un exemple fréquent est celui des biens figurant à l’actif du bilan de l’EI, mais non affectés à son exploitation. Cela peut être le cas d’un immeuble résidentiel ou de placements financiers. Logiquement, ces biens ne sont pas concernés par le dispositif Dutreil, mais ils le sont par la transmission. Le praticien doit donc distinguer entre eux les biens soumis au régime de faveur et ceux qui en sont exclus. De même, si le traitement comptable ou fiscal du bien ne pose aucun problème, alors l’hypothèse inverse s’applique. Ainsi, si durant la transmission de son entreprise individuelle, le dirigeant décide de céder aussi un immeuble affecté à l’activité commerciale, celui-ci doit être inclus dans l’ensemble des biens partiellement exonérés.
De ce fait, l’exonération partielle s’étend à tous les biens meubles ou immeubles, corporels et incorporels dédiés à l’exploitation de l’entreprise.
L’affectation est évaluée suivant l’utilité du bien pour l’exercice de l’activité. À ce titre, le stock de l’entreprise est reconnu comme inclus dans le dispositif. Il est reconnu comme tel même s’il n’est pas cédé dans sa totalité à cause d’une certaine loi.
Le régime fiscal des bénéfices de l’entreprise ne change rien à l’application du dispositif Dutreil. On parle de l’impôt sur le revenu ou de l’impôt sur les sociétés. Pour cause, il a été noté que le régime de faveur peut s’appliquer en cas de cession partielle de l’entreprise. Le dispositif s’applique dès qu’une branche complète d’activité est transmise. Cela veut dire que les éléments cédés peuvent et doivent être exploités de manière autonome après la transmission.
Un entrepreneur mécanicien-carrossier peut par exemple décider de transmettre à son fils la branche d’activité de carrosserie. Il conserve pourtant pour lui celle de la mécanique.
Les critères d’application du dispositif Dutreil
La valeur de l’intégralité des biens indispensables à l’exploitation d’une EI est éligible au dispositif Dutreil à certaines conditions. Il en est de même pour une quote-part indivise.
La durée de détention de l’entreprise
Le premier critère concerne la durée de détention de l’entreprise individuelle. Pour bénéficier de cette mesure, le donateur ou le défunt doit avoir détenu son entreprise depuis 2 ans minimum après son achat. Il incombe aux héritiers, aux bénéficiaires de dons ou aux légataires de prouver ce délai par tous les moyens. Si l’entreprise a été créée par le défunt ou le donateur, ou lui a été donné gratuitement, aucun délai spécifique n’est requis. C’est surtout le cas s’il a acquis par succession ou par donation l’entreprise, ce qui le rend éligible au régime favorable. Le dispositif Dutreil s’applique aussi même si l’exploitant individuel est à la retraite depuis 5 ans et que son conjoint survivant a continué l’activité. Cette décision émanait de la Cour de cassation via l’arrêt du 10/09/13, n°12-21140.
Bref, l’exploitation par le propriétaire ou non de l’entreprise au moment de sa transmission n’est pas un critère d’application du dispositif. En revanche, il n’en est pas ainsi si les biens cédés sont mis en location-gérance à une société à responsabilité limitée. Pour cause, si loués, ils ne sont plus considérés comme étant affectés à l’exploitation d’une entreprise individuelle. Ils ne sont donc pas éligibles au dispositif de faveur d’après la réponse ministérielle GIRO, JO AN 15 août 2006 n°85780.
Promesse individuelle des héritiers ou des bénéficiaires de conserver l’entreprise cédée
Lors de la succession, chaque héritier doit s’engager à conserver tous les biens indispensables à l’exploitation de l’EI pendant 4 ans. Les donataires ou légataires doivent faire de même, ce, à partir de la date de transmission de l’entreprise. Cela veut dire qu’ils doivent garder les biens reçus durant cette période, sauf en cas de cession isolée ou de remplacement d’un actif. On peut prendre comme exemple la nécessité de remplacer un matériel devenu obsolète, ou de renouveler un stock. Logiquement, ces types de modification ne remettent pas en question l’application du pacte Dutreil.
En cas de fin d’indivision successorale suite à un décès ou à une donation, la répartition avec soulte n’annule pas l’avantage fiscal. Elle reporte seulement les conditions sur le nouveau propriétaire de l’entreprise. Aussi, il faut que tous les biens nécessaires à l’exploitation soient transférés au bénéficiaire. De plus, il faut se préparer au fait que l’EI peut être transformée en société vu la hausse des créations de sociétés. Dans ce cas, un tel évènement ne compromet pas les avantages fiscaux prévus par l’article 787 C du CGI.
Cependant, des nouvelles conditions sont établies :
En outre, le dispositif Dutreil s’applique toujours même si le bénéficiaire de la première transmission décide de transmettre l’EI à son tour. Pour cela, il faut pourtant que le donataire soit son descendant et maintienne l’engagement de conservation pendant 4 ans. Le paragraphe d) de l’article 787 C du Code Général des Impôts confirme cette mesure.
Continuité de l’exploitation de l’entreprise par l’un des héritiers, donataires ou légataires
Après la transmission à titre gratuit, l’un des héritiers, donataires ou légataires doit ainsi exploiter l’EI durant 3 ans. Cela veut dire qu’il doit en faire son activité principale, celle qui représente la majorité de ses activités économiques. Il doit s’y soumettre quoiqu’il n’en tire par la plus grande part de ses revenus et même s’il exerce simultanément plusieurs professions. En effet, en tant que bénéficiaire du régime de faveur, il doit prouver qu’il exploite principalement et habituellement l’entreprise. Faute d’autres preuves disponibles, l’administration fiscale prendra en compte divers indices comme :
Telles sont les raisons d’anticiper autant que possible la transmission de l’entreprise. Il a également été reconnu que l’exploitation peut être effectuée par l’intermédiaire d’un mandataire désigné par le défunt avant son décès. C’est notamment le cas quand les héritiers ou donataires n’atteignent pas encore l’âge adulte ou n’ont pas les qualifications requises.
Déclarations obligatoires
Après la transmission des biens, chaque bénéficiaire héritier, donataire ou légataire est soumis à différentes obligations déclaratives. La loi de finances pour l’année 2019 a simplifié ces obligations. Elle les a codifiées à l’article 294 quater de l’annexe II du Code Général des Impôts.
Le bénéficiaire doit d’abord fournir la déclaration de succession ou de don manuel à annexer à l’acte de donation ou à la déclaration de succession. Il n’a ensuite qu’à fournir une attestation à l’administration dans les 3 mois suivant la fin de l’engagement de conservation. Celle-ci doit confirmer le respect des obligations et des conditions spécifiées à l’article 787 C du CGI. Elles concernent la conservation des biens et la poursuite de l’activité depuis la transmission jusqu’à la fin de l’engagement. De plus, pendant la période d’engagement, l’administration fiscale peut aussi exiger à chaque légataire, donataire ou héritier de fournir cette attestation. De ce fait, ils doivent fournir la réponse dans un délai de 3 mois suivant la demande de l’administration.
Amendes en cas de non-respect des conditions légales
Si le bénéficiaire rompt l’engagement de conservation, sauf dans les cas cités précédemment, il doit payer la différence des droits de mutation à titre gratuit. Il y est contraint, qu’il soit héritier, donataire ou légataire. Cette différence est même majorée des intérêts de retard au taux de 0,20 % par mois selon l’article 1727 du CGI. La même sanction s’applique en cas de non-respect des conditions énoncées dans l’article 787 C du CGI. Cependant, si l’activité de l’entreprise est interrompue, tous les donataires ou héritiers doivent payer le complément de droits et les intérêts de retard. Quoi qu’il en soit, l’administration fiscale devra prévenir les personnes concernées des raisons qui remettent en question l’exonération partielle. Elle les invite d’abord à fournir des justificatifs avant le début de la procédure de recouvrement des droits de mutation et des intérêts.
Calcul des droits et article 790 II du CGI
Une fois toutes les conditions respectées, la base imposable de la valeur de l’entreprise transmise est réduite de 3/4.
Cela signifie que 25 % seulement de la valeur transmise sont soumis aux droits de mutation à titre gratuit. Il convient de noter que la base imposable correspond à la différence entre l’actif brut et le passif. Certaines dettes peuvent en effet avoir été contractées par le donateur ou le défunt pour acquérir ou développer l’entreprise transmise. Elles doivent ainsi être déduites de la valeur globale des éléments transmis.
Bref, la formule de calcul des droits est la suivante : [valeur de l’entreprise transmise (= actif brut – passif déductible) x 25 % – abattement légal] x barème progressif suivant le statut du bénéficiaire : donataire, héritier ou légataire.
De plus, si les conditions énoncées à l’article 787 C du CGI sont remplies, les dons en pleine propriété de parts ou d’actions d’une société exerçant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale, ou de la totalité ou d’une partie indivise des biens meubles et immeubles affectés à l’exploitation d’une EI ayant la même activité, peuvent bénéficier d’une diminution de 50 %, à condition que le donateur ait moins de 70 ans. Cette réduction ne s’applique ni aux dons en nue-propriété ni aux dons d’usufruit de ces mêmes biens.
Pour illustrer cette fiche pratique, voici un exemple détaillé avec des données chiffrées.
Imaginons que Monsieur X ait fondé une entreprise de maçonnerie dans les années 90. Il dirige cette entreprise avec son épouse, avec qui il s’est marié en 1985 sans établir de contrat préalable à leur mariage. À l’heure actuelle, Monsieur et Madame X, tous deux âgés de 65 ans, envisagent de transmettre leur entreprise à leur fils, Pierre. Ils consultent donc leur notaire pour évaluer les impôts à payer en cas de donation totale de l’entreprise. La valorisation actuelle de l’entreprise est de 2 000 000 euros. Il y a pourtant un prêt en cours de 200 000 euros sur le matériel cédé, que Pierre est prêt à reprendre.
Pour calculer la base imposable des droits de donation, nous prenons la valeur nette de l’entreprise cédée, soit 1 800 000 euros. En appliquant l’abattement partiel Pacte Dutreil (article 787 C du CGI) qui équivaut à 75 % de la valeur nette, nous obtenons une assiette imposable globale de 1 350 000 euros. Ainsi, la base imposable s’élève à 450 000 euros.
Concernant la liquidation de l’impôt par parent, nous divisons l’assiette imposable totale par deux pour chaque parent, soit 225 000 euros par parent. Un abattement légal de 100 000 euros est ensuite appliqué en faveur de Pierre, réduisant ainsi l’assiette imposable à 125 000 euros par parent. En utilisant le barème progressif de l’impôt, les droits par part transmise par chaque parent s’élèvent à 11 597 euros après déduction des droits de donation prévus à l’article 790 II du CGI.
À titre de comparaison, si le dispositif de faveur du pacte Dutreil n’était pas choisi, les droits par part transmise s’élèveraient à 182 962 euros.
Ces calculs démontrent les économies substantielles réalisées grâce au pacte Dutreil. Ainsi, il est vivement recommandé à toute personne souhaitant transmettre son entreprise de consulter un notaire pour bénéficier des meilleures conditions fiscales.
Pour en savoir plus : https://www.a-finance.fr/transmission-dentreprise/A propos de ATLANTIC FINANCE |
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