Deux méthodes permettent de déterminer la valeur d’une entreprise cotée en bourse. La première est la méthode de multiples de comparaison, et la seconde l’actualisation des flux de trésorerie futurs. Toutes les deux permettent d’évaluer le potentiel d’une action et de déterminer si elle est sous-évaluée ou surévaluée. Une autre méthode spécifique aux conglomérats existe toutefois et que nous verrons à la fin de cet article.
La méthode des multiples de comparaison
La méthode la plus simple et la plus utilisée consiste à comparer les multiples de valorisation de sociétés similaires. Le PER (ratio cours/bénéfice) est le plus courant, en divisant le cours de Bourse par le bénéfice par action prévu. Il consiste aussi à diviser la capitalisation boursière par le bénéfice total attendu.
Prenons par exemple une entreprise de luxe avec une capitalisation boursière de 23 Mds d’euros et des bénéfices attendus de 1 Md d’euros. Essayons de savoir si elle est sous-évaluée ou non.
À leurs prix actuels, Hermès affiche un PER de 52, LVMH de 26 et Kering de 18 pour l’année 2024. Le PER moyen de ces 3 entreprises s’établit donc à 32, contre un multiple de 23 pour notre entreprise. Ainsi, celle-ci ne semble pas être sous-évaluée.
Néanmoins, les analystes et les gestionnaires peuvent y appliquer une prime ou une décote en fonction de divers critères :
le potentiel de croissance de l’entreprise, la raison des multiples plus élevés d’Hermès,
les risques encourus,
sa bonne ou mauvaise gestion,
ou la liquidité de ses actions (le flottant).
Il y a différentes manières d’aborder cela, la raison de bien cerner le secteur concerné. Ceux des banques ou de l’automobile, qui sont cycliques, sont par exemple moins valorisés que ceux de la technologie ou du luxe. Cela s’explique par leur potentiel de croissance faible et/ou leur moindre résilience aux fluctuations économiques. Il en est ainsi quoique des différences significatives puissent exister dans un même secteur. De plus, il peut être ardu de trouver des comparables pertinents. Prenons l’exemple de Ferrari, un constructeur automobile qui, à cause de son modèle unique, est plutôt comparé à Hermès qu’à Mercedes.
À noter que même si nous avons parlé du Price Earnings Ratio, il existe de nombreux autres ratios financiers. On peut par exemple calculer la valeur de l’entreprise par rapport à :
son chiffre d’affaires,
son résultat opérationnel,
son bénéfice avant amortissements,
dépréciations comptables,
charges d’intérêts et impôts (EBITDA).
Pour certaines grandes entreprises comme Airbus ou Alstom, spécialisées dans des biens lourds, la génération de trésorerie tient une place importante. Pour elles, il est plus indiqué d’utiliser un multiple du flux de trésorerie libre pour l’évaluation. C’est ce qu’a fait entre autres Bank of America pour évaluer Salesforce, une société américaine de logiciels professionnels.
On peut même comparer la capitalisation boursière du groupe à la valeur de son bilan, ce qu’on entend par price-to-book ratio. C’est ce qui permet de mettre en lumière le multiple auquel une société est valorisée par rapport à sa valeur comptable.
Quand elle a présenté son plan stratégique, Société Générale a utilisé cette approche pour expliquer sa décote boursière. La banque a alors montré que son action se négociait à 0,4 fois la valeur de ses actifs tangibles ou tangible book value. Celles de BNP, Barclays, Crédit Agricole SA ou Deutsche Bank, un groupe de concurrents le sont à 0,8 fois en moyenne.
La méthode DCF
Voyons maintenant la méthode Discounted Cash-Flow ou Flux de Trésorerie Actualisés. Elle estime la valeur actuelle d’une entreprise en se basant sur ses futures capacités à générer des flux de trésorerie. On parle du free cash-flow qui proviendra de ses activités et qui représente la somme disponible une fois les investissements nécessaires réalisés.
Le flux de trésorerie actualisés s’agit donc d’un indicateur capital dans cette méthode. Contrairement aux bénéfices comptables, il reflète réellement les mouvements financiers d’une entreprise. Les investisseurs accordent une attention particulière au free cash-flow pour une bonne raison. En effet, celui-ci représente les liquidités disponibles pour les dirigeants une fois les dépenses de croissance couvertes.
Pour évaluer une entreprise selon le DCF, les analystes projettent les flux de trésorerie libre sur plusieurs années. Ils les actualisent ensuite pour les valoriser au présent. Cette actualisation prend en compte la dépréciation de la valeur de l’argent dans le temps due à l’inflation. Elle considère aussi la possibilité, pour l’investisseur, de réinvestir immédiatement les fonds reçus.
L’actualisation des flux futurs s’effectue par leur division par le coût moyen pondéré du capital ou CMPC. Désigné taux de rentabilité, ce CMPC est en fonction de :
l’endettement de l’entreprise,
la rentabilité attendue par les actionnaires et les créanciers.
Ce taux de rentabilité varie en fonction de l’année où le flux est projeté, soulignant l’impact du temps sur la valeur des flux.
Lorsque les flux de trésorerie sont connus et actualisés, l’investisseur doit aussi calculer une valeur terminale de l’entreprise. Celle-ci doit se porter sur la dernière année de la projection, l’investisseur pouvant le faire de 2 manières. Il peut le faire en appliquant un multiple de sortie observé sur des entreprises similaires. Il peut aussi s’y prendre en estimant une croissance « normative » du free cash-flow en utilisant la formule de Gordon Shapiro. Celle-ci rapporte ce dernier flux de trésorerie à la différence entre le CMPC et le taux de croissance attendu.
Après avoir déterminé et actualisé la valeur terminale, l’investisseur peut estimer la valeur totale de l’entreprise. Pour cela, il ajoute cette valeur terminale aux flux de trésorerie actualisés. Il lui reste ensuite d’y soustraire sa dette et son éventuelle trésorerie pour avoir la valeur de ses fonds propres. Il doit enfin diviser cette valeur par le nombre d’actions en circulation pour obtenir le prix théorique de l’action.
La méthode dite « somme des parties »
La « somme des parties « est principalement utilisée pour évaluer les conglomérats qui exercent plusieurs activités. L’investisseur ou l’analyste va se servir des méthodes citées précédemment pour évaluer séparément chaque activité du conglomérat.
Ces valeurs distinctes seront ensuite additionnées, d’où l’appellation « somme des parties », pour obtenir la valeur totale de l’entreprise. Cependant, une décote spécifique au conglomérat est appliquée à cette somme. En effet, le marché accorde souvent une valorisation supérieure aux entreprises spécialisées ou pure-player par rapport à celles aux activités diversifiées. Cette perception négative provient souvent de certains critères comme :
des synergies limitées,
des investissements éparpillés au lieu d’être centrés sur les activités rentables,
un manque de transparence dans la gestion.
Fin 2023, Vivendi a parlé d’une décote de conglomérat très élevée pour justifier son intention de se diviser en 3 sociétés. Depuis janvier, le groupe s’est scindé en 4, justement pour diminuer ladite décote en créant des entités plus spécialisées. Celles-ci sont potentiellement plus attractives pour les investisseurs en quête de lisibilité et de synergies plus prononcées entre les activités.
Exemple de DCF
Considérons une illustration simplifiée de la méthode de valorisation des flux de trésorerie actualisés ou DCF. Imaginons une entreprise en pleine expansion, avec :
une dette nette de 1 Md d’euros,
156 millions d’actions en circulation,
un cours boursier de 52 euros.
Cette entreprise projette de générer :
100 M d’euros de flux de trésorerie libre dans 1 an,
150 M d’euros dans 2 ans,
200 M d’euros dans 3 ans,
250 M d’euros dans 4 ans.
À la 5ème année, l’analyste juge que la croissance de ces flux de trésorerie se stabilisera à 10 % par an en moyenne. Nous estimons aussi que le coût moyen pondéré du capital (CMPC) est de 12%.
La méthode DCF consiste à actualiser la somme des flux de trésorerie libre: 100/(1,15) + 150/(1,12)^2 + 200/(1,12)^3 + 250/(1,12)^4 + 275/(1,12)^5 = 666 M d’euros.
Il faut ensuite calculer la valeur terminale de l’entreprise en année 5 selon la formule de Gordon-Shapiro. Cela veut dire diviser le dernier flux de trésorerie par la différence entre le CMPC de 12% et le taux de croissance « normal » du free cash-flow de 10%. Cela donne 275/(12% – 10%), soit 13,75 Mds d’euros.
Après avoir actualisé cette valeur terminale et l’avoir ajoutée aux flux de trésorerie libre actualisés, nous obtenons une valeur d’entreprise de 8,46 Mds d’euros. Après déduction de la dette nette, cela équivaut à une capitalisation boursière de 7,46 Mds d’euros. Avec 156 millions d’actions en circulation, cela donne un cours théorique de 47,82 euros par action. En conclusion, l’action semble légèrement surévaluée.
À noter que cet exemple est très simplifié et illustratif, avec des paramètres généreux comme la croissance du flux de trésorerie. Ceux-ci peuvent pourtant différer dans des situations réelles.
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