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L'obligation d'informer tous les collaborateurs en amont de l'opération risque de désorganiser ces reprises particulièrement compliquées à mettre en place La reprise d'entreprise par les salariés au centre du débat Le débat sur l'Economie Sociale et Solidaire aura au moins eu ce mérite de remettre la reprise d'entreprise sur le devant de la scène, et notamment la reprise par les salariés. De nombreux exemples ont été donnés de reprises réussies par des salariés et il semblerait, même si les chiffres sont toujours à prendre avec une extrême prudence, que ces reprises affichent une pérennité intéressante. Notons néanmoins que derrière l'acronyme RES (Reprise d'Entreprise par les Salariés), il faut entendre la plupart du temps « reprise d'entreprise par un ou plusieurs salariés ». La reprise d'une entreprise par la totalité de ses collaborateurs est dans les faits très rare car, tant pour des raisons personnelles que professionnelles, il est peu fréquent que tous les salariés soient motivés et disposent des moyens financiers nécessaires pour s'associer à un projet de reprise. Quelles mesures dans la loi ESS pour aider la reprise d'entreprise par les salariés ? Que propose concrètement la loi Economie Sociale et Solidaire portée par Benoît HAMON pour aider les dirigeants qui souhaitent vendre à leurs salariés et pour aider les salariés qui souhaitent racheter leur entreprise ? Malheureusement rien… sauf pour ceux qui voudront reprendre en SCOP et qui bénéficieront alors du statut de « SCOP d'amorçage ». Mais sachant qu'il ne se crée en moyenne que deux SCOP par an et par département, et même si le gouvernement parvenait à doubler ce chiffre, objectif annoncé, l'enjeu n'est-il pas d'une autre dimension quand on parle de transmission d'entreprise ? Il y a évidemment cette nouvelle obligation d'informer tous les collaborateurs deux mois avant la cession sous peine d'annulation de la vente, mesure censée promouvoir ce type de reprises… mais qui peut croire sérieusement qu'il est possible de racheter une entreprise ou même de faire une offre de reprise crédible en deux mois ? Qui peut prétendre qu'il est dans l'intérêt des entreprises et des salariés d'ajouter des délais et des contraintes et donc de l'incertitude à des projets de reprise déjà tellement longs et tellement compliqués à mettre en œuvre ? Qui peut tout simplement imaginer que le cédant ait « oublié » de penser à ses salariés alors que cette solution, quand elle est possible, lui évite toutes les démarches coûteuses, fastidieuses, chronophages et incertaines pour trouver un repreneur externe ? Cette obligation, loin d'aider les salariés à reprendre, va au contraire fortement pénaliser un grand nombre de reprises par les salariés qui aboutissaient jusqu'à présent chaque année, car mises au grand jour à un moment où elles seront encore très fragiles ! Bien entendu, et cela a toujours été le cas, certains salariés envisageant une reprise estimeront qu'il est important de solliciter, dès le départ ou en cours de route, tous les collaborateurs pour connaitre leur sentiment sur le projet avant de faire une offre ferme au cédant. Mais l'imposer à tous, à quelques mois de l'échéance, fragilisera considérablement la position d'un grand nombre de salariés en phase de reprise, alors même qu'ils étaient sur le point de finaliser l'opération. Les spécificités des reprises par les salariés Pour le comprendre il est important de revenir aux spécificités même de ces opérations. Les reprises par les salariés sont des opérations complexes à organiser et nécessitent une attention toute particulière, notamment lors du passage de témoin. En effet, comme pour les reprises externes, leur élaboration reste pour une majorité d'entre elles confidentielle et le moment choisi par le cédant pour introniser le ou les nouveaux dirigeants anciennement salariés est déterminant pour la réussite du projet de reprise. Les nouveaux patrons, auparavant salariés, doivent dans un premier temps rassurer leurs « anciens » collègues sur leur capacité à diriger et à développer l'entreprise. Néanmoins, les doutes ne seront pas levés sur la base d'un discours ; seules les actions et les réussites futures permettront de convaincre les plus réticents et valideront définitivement la pertinence de la reprise. Par ailleurs, passer du statut de collègue à celui de patron peut être compliqué à vivre pour le ou les salariés repreneurs, mais également pour tous les collaborateurs qui doivent accepter ce changement de statut et ces nouveaux rapports hiérarchiques. Il peut s'avérer difficile pour certains de consentir au fait qu'un ancien collègue puisse désormais les manager, décider de leur rémunération et gérer leur évolution professionnelle. Illustration de l'impact de la loi Economie Sociale et Solidaire sur les reprises par les salariés Voici quatre mises en situation pour mieux comprendre, si elle était votée, l'impact et les risques de la loi Economie Sociale et Solidaire sur les reprises d'entreprise par les salariés.
Dévoiler trop tôt un projet anxiogène ne peut que le pénaliser Les projets de reprise sont par nature risqués et il est normal qu'ils soient anxiogènes pour les salariés. Benoît HAMON annonce ainsi un taux d'échec de 1 sur 4 à horizon cinq ans pour les reprises par les salariés... Si on vous proposait un changement d'organisation qui aurait une chance sur quatre de vous faire perdre votre emploi, voteriez-vous pour le « oui » ou pour le « statu quo » ? Et même si ce chiffre demande à être vérifié, les salariés peuvent légitimement s'inquiéter de leur avenir et ces craintes ne disparaitront - ou pas - qu'au bout de quelques mois, voire de quelques années. Mais à deux mois de la reprise envisagée, les salariés repreneurs n'auront que la parole pour convaincre leurs collègues de la pertinence de leur projet... Cette annonce prématurée tiendra donc lieu de référendum interne sur le bien-fondé du projet de reprise à un moment où il ne pourra susciter que questions et interrogations. Le risque sera alors élevé de le faire échouer alors même qu'il était viable et qu'il aurait abouti sans ces nouveaux délais et ces nouvelles contraintes... Damien NOEL, associé fondateur de FUSACQ. |