Conseil d’Etat, 3e et 8e chambres réunies, Décision n°406888 du 22 janvier 2018, Caruso
La notion de services rendus en France au sens du II de l’article 155 A du CGI s’entend des services exécutés matériellement en France et non des services simplement utilisés en France.
Parmi les clauses anti-abus que contient le code général des impôts (CGI), l’article 155 A vise à faire obstacle aux schémas de sociétés écrans visant à éluder l’impôt français qui devrait seulement être dû par des prestataires de services rendus en France, lorsque ces services sont en réalité rémunérés auprès de personnes physiques ou morales établies à l’étranger et qui sont liées aux prestataires réels.
Ainsi, selon l’article 155 A, I du CGI, les sommes perçues par une personne établie hors de France en rémunération de services rendus par des personnes établies en France sont imposables au nom de ces dernières (i) lorsque celles-ci contrôlent la personne qui perçoit la rémunération des services, (ii) lorsqu’elles n’établissent pas que cette personne exerce, de manière prépondérante, une activité industrielle ou commerciale autre que la prestation de services ; ou (iii) en tout état de cause, lorsque la personne qui perçoit la rémunération est domiciliée dans un « paradis fiscal » au sens de l’article 238 A du CGI. Le paragraphe II de l’article permet l’application de ces mêmes règles aux personnes domiciliées hors de France pour les services rendus en France.
Le Conseil d’Etat dans sa décision Caruso en date du 22 janvier 2018, énonce que pour l’application du paragraphe II de l’article 155 A du CGI, la notion de services rendus en France s’entend de ceux exécutés matériellement par le prestataire en France.
Dans cette affaire, Monsieur et Madame C., initialement domiciliés en France, étaient rémunérés par une société française pour l’exercice de leurs fonctions de direction; Monsieur C. était l’associé unique de la société française.
Les époux C. ont transféré leur domicile fiscal de la France vers la Suisse et ont créé en parallèle une société Suisse qu’ils dirigent et dont ils détiennent l’intégralité du capital, laquelle a conclu un contrat de prestations de « management » avec la société française (assistance en matière commerciale, de management, de stratégie d’entreprise et de conseil).
L’administration fiscale a considéré que les sommes perçues par la société suisse en rémunération des services devaient être imposées en France, puisque les prestations étaient effectivement rendues par ses associés en France. Pour soutenir sa position, l’administration a relevé que (i) les prestations étaient similaires à celles rendues par les époux avant leur changement de domicile fiscal, et (ii) que les époux n’apportent aucune précision quant aux moyens mis en œuvre pour réaliser leurs fonctions de direction en Suisse.
Le point sur lequel le Conseil d’Etat concentre toute son attention est de savoir si les services rendus à la société française l’ont été physiquement depuis la France ou depuis la Suisse. Il souligne de façon préliminaire que « la seule circonstance que ces prestations correspondaient à une activité qui était jusqu’alors assumée par les requérants au sein de la société française n’est pas de nature à établir qu’elles continuaient à être rendues en France ».
Le Conseil d’Etat poursuit en indiquant que « L’administration n’apportant pas d’éléments suffisants de nature à permettre de penser que les services ont été rendus en France, les rémunérations facturées par la société [Suisse] ne peuvent être regardées comme relevant du II de l’article 155 A du code général des impôts. »
Par cette décision, le Conseil d’Etat établit que les prestations de services effectuées au bénéfice d’une société établie en France pour l’application de l’article 155 A, II du CGI, sont considérées comme rendues en France seulement dans le cas où les prestations y sont matériellement exécutées, ce qui implique que les personnes ayant presté les services se sont déplacées en France. A cet égard, la Haute Juridiction indique qu’il incombe d’apporter des éléments de preuve suffisants sur cette question, la charge de la preuve reposant essentiellement sur l’administration fiscale.
Au cas d’espèce, il convient de noter que l’administration fiscale aurait pu utiliser l’article L16 B du Livre des procédures fiscales relatif à la perquisition fiscale pour obtenir des éléments matériels lui permettant d’établir que les époux venaient en France pour réaliser les prestations à la société française.
Pour conclure, cet arrêt est l’occasion de rappeler la vigilance dont doivent faire preuve les dirigeants exilés qui continuent, directement ou via des sociétés étrangères, d’administrer ou gérer des sociétés françaises. D’autant que l’administration fiscale dispose aujourd’hui de moyens efficaces (procédure d’enquête fiscale, par exemple) et de fondements multiples (article 155 A, présence d’un établissement stable ou d’un siège de direction effective en France, etc.) sur lesquels s’appuyer pour remettre en cause les schémas d’exil trop agressifs ou artificiels. Il convient a minima de se constituer des preuves de ce que les prestations de services de gestion/management sont rendues depuis l’étranger et non depuis la France.
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